Faisant quelques pas de côté, Kader Belarbi réinvente
Casse-Noisette en racontant une histoire cohérente, dont le
fil conducteur est la recherche d'un bras perdu.
C'est
un pensionnat à l'ancienne, où l'on dort en chemise et bonnet de
nuit. Brossage de dents et lavage de parquet marchent au sifflet.
Mais au diable conventions et époques, le dortoir est mixte, et on
chahute sous les draps avec des lampes de poche. La surveillante est
évidemment à lunettes, à chignon et revêche, mais n'est pas
insensible au charme de l'étrange directeur Drosselmeyer, Coppélius
à optiques multiples. Pas de sapin pour Noël : une pauvre
guirlande, la visite de quelques parents, et un jouet presque pour
chacun… Marie a été oubliée. Drosselmeyer lui invente un beau
soldat de bois.
Marie
est une autre Alice : la nuit, murs et radiateurs deviennent
gigantesques, les globes lumineux globes oculaires, et l'on passe de
l'autre côté de l'armoire, là où les jouets s'animent. Un autre
côté est toujours le royaume d'une reine de cauchemar, ici une
araignée juchée sur sa toile - siège à roulettes. Et c'est un
combat sans merci entre veuves noires et soldats de plomb – bien
stables dans leurs carrés d'herbe collés aux bottes. Les lits
s'ouvrent comme des cercueils tapissés de miroirs. Le beau soldat de
Marie, qui n'est plus de bois, en perd son bras gauche.
Sous
les sortilèges d'un Drosselmeyer omnipotent devenu lui aussi
démesuré, les fleurs valsent avec leurs jardiniers, parmi une
végétation luxuriante, çà et là carnivore, vaguement
inquiétante. En Espagne, c'est un éventail qui propose ses mille et
trois lames de bras pendant que sautent grenouilles et
crapauds. En Turquie, voici une chenille calife qui fume la pipe,
affublée de quatre-vingt-onze segments de gros bras. En Asie, des
siamois vantent des bras en or, tandis qu'en Russie, le haut-fourneau
crache un bras d'acier. Mais en Italie, ce sont six cent quarante
bras salamis que vendent des masques blancs, Rigoletto, Falstaff et
leurs amis pucciniens n'étant pas en reste.
Drosselmeyer
devenu bonhomme de neige, l'hiver est plus convenu, malgré
d'impayables sapères Noël, ramures vertes et barbes blanches. Et
l'on retrouve le kitsch paillettes et les sourires figés pour le pas
de deux, comme si on assistait soudain à un autre spectacle.
Mais
c'était un rêve, quoi d'autre ?
Le pensionnat est toujours
là, avec ses radiateurs à la bonne taille, ses lits, ses
chahuts sous les draps, sa surveillante à lunettes, et son
« nouveau », qui
ressemble étrangement à ce soldat de bois… sauf qu'il porte une
casquette à l'envers.
Kader
Belarbi mêle habilement mise en scène et chorégraphie dans les
décors, astucieux et magnifiques, d'Antoine Fontaine, que les
danseurs-acteurs manipulent à vue. Natalia de Froberville incarne
une Marie très crédible, mais semble plus sur la réserve dans son
tutu de princesse. Son soldat de bois Ramiro Gómez
Samón
est impressionnant de
précision, y compris lorsqu'il doit danser privé de son bras
gauche, une véritable performance. On remarque également la
surveillante – reine des araignées – reine des flocons
d'Alexandra Surodeeva, le Drosselmeyer de
Rouslan Savdenov qui doit s'accommoder de son gros ventre, et le
clown aérien de Philippe Solano. Les
vocalises hivernales de la Maîtrise chantées
depuis la coulisse sont particulièrement émouvantes. Et
on regrette
que les musiques et bruitages additionnels, sans grand intérêt,
viennent bousculer Tchaïkovski, la
beauté de l'Orchestre et
la direction experte de Koen
Kessels.
Capitole, 29 décembre 2017
Photos © David Herrero
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