Nicolas
Joël et Ezio Frigerio ont conçu une écrasante symétrie, des
décors imposants – ou s'imposant – en miroir, miroir des doubles
contraintes, des dilemmes.
L'ordre
du noir manoir de Hunding est perturbé par cette table de bois
anachronique où le maître de maison, jouant avec son couteau,
n'invite pas l'hôte égaré. Haine, hospitalité :
l'hospitalité doit primer, mais la table sera renversée
rageusement.
Chez les dieux, les escaliers, degrés des valeurs
morales, sont le théâtre des jeux de dominations, du choc des
arguments : les certitudes titubent sur les marches et
contremarches de l'amour et du devoir. Et les Walkyries malmènent
des cadavres hyperréalistes tandis que des chevaux statufiés
s'emballent sur l'arc de triomphe ancré sur le rocher ; le
divin n'est plus que pierre, et c'est l'humain en chair et en os,
mortel, qui devra construire l'ère nouvelle.
Reprenant
la mise en scène de Nicolas Joël, Sandra Pocceschi insiste sur les
regards, la duplicité des personnages, les hiérarchies qui se
défont. Wotan – et l'interprète y contribue largement – est
particulièrement fouillé, dieu déjà plus très dieu dans son
habit et ses façons. Cependant on n'échappe pas aux lances
violemment projetées au sol à chaque accès de colère, ou aux
personnages qui se jettent systématiquement par terre lorsqu'ils
sont contrariés.
Siegmund
est soigneusement vêtu pour quelqu'un qui vient de subir orage,
tempête et ennemis ; mais si Michael König est quelque peu
emprunté dans sa cotte, le chant fait passer l'émotion que le corps
ne dit pas. Avec de belles notes graves et de formidables aigus,
Daniela Sindram compose une Sieglinde tourmentée, saisissante dans
sa scène d'hallucination. Loin d'un Hunding monolithique, Dimitry
Ivashchenko conjugue finement brutalité et noblesse.
Les
injonctions de la sublime Flicka d'Elena Zhidkova, divine sur les
plus hautes marches de l'escalier, contraignent Wotan à rester en
bas, humain, trivial. Tomasz Konieczny privilégie alors le théâtre
et le sprechgesang. Mais après une chevauchée de Walkyries
riantes, criantes voire hurlantes, le dieu miné par un déchirement
profondément humain retrouve une musicalité qui rend passionnant le
dialogue père-fille jusqu'à l'émouvant baiser d'adieu. Anna
Smirnova parvient à dompter la puissance de ses cris de guerre
d'entrée pour faire passer dans sa Brünnhilde toute une palette de
sentiments au fur et à mesure que l'armure se fend.
Claus
Peter Flor réussit comme toujours un parfait équilibre entre
l'orchestre et le plateau – orchestre sublime et magnifiques solos
qui émeuvent tout autant que le chant.
Et
comment ne pas penser à Patrice Chéreau, dont Nicolas Joël fut
l'assistant pour son
Ring
à Bayreuth en
1976 lorsque, après la
manifestation du feu Loge dans
sa petite jarre, la
fumée rougeoyante fait
disparaître la silhouette tout armée de Brünnhilde, sous
le regard d'un père, humain, forcément humain, qui
ensuite détourne le regard
et quitte la scène.
Photos
© David Herrero et Frédéric
Maligne
Capitole, 11 février 2018
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