L'ouverture
de l’œuvre et du toril libère des dames bien rangées qui montent
à l'assaut de la face, leurs ombrelles braquées sur la salle. Et
Don José tue Carmen sur le thème du destin, point de suspense.
Donc
Don José, comme chez Mérimée, se souvient : d'une Carmen à
effets de hanches et coups de jupons, d'une Micaëla très nattes
bleues et jupe tombante. Que nous dit cette Carmen
aujourd'hui ? Ma foi, je ne sais pas.
Jean-Louis
Grinda et son équipe ont organisé les quatre actes autour, de part
et d'autre ou à l'intérieur d'une hypersurface élégante, qui peut
figurer une caserne, une arène, des montagnes, mais qui est hélas à
la fois encombrante et bruyante lorsqu'elle est déplacée.
Acte
I : voir et ne pas voir. Sur la place, où personne ne passe, il
n'y a pas de place. Il semblerait que chacun vienne et aille dans la
salle. Au point que Moralès entreprend Micaëla sans la voir, les
deux personnages se parlant… face public. Voyez-les / Regards
impudents / Mine coquette, disent les soldats. Mais on ne voit
rien du tout, les cigarières sont encore derrière la porte close de
la manufacture (ou du toril). J'apporte de sa part, fidèle
messagère / Cette lettre dit Micaëla à Don José. Mais la
lettre reste dans la besace de la messagère. Mais nous ne voyons
pas la Carmencita disent les soldats. Le public, lui, l'a très
bien vue entrer et s'allonger par terre – mais pourquoi donc –
simplement pour que les soldats l'entourent et la désignent du doigt
– La voilà – comme un seul homme ?
Une
très jeune danseuse, à la fois fatum et double de Carmen, apparaît
régulièrement, sur la place, chez Lilas Pastia, apportant les
cartes du destin dans la montagne et la robe de mort devant l'arène.
Belle idée, mais est-il nécessaire qu'elle danse systématiquement,
et pas toujours parfaitement ?
Les
artistes du Chœur du Capitole, malheureusement peu mis en valeur
scéniquement, sont excellents comme à l'accoutumée. Mais on frise
l'accident avec les gamins à l'acte I, l'air commencé en coulisses
se décalant par rapport à l'orchestre à l'entrée en scène,
entrée elle-même scandée par des bruits de pas qui tombent à côté
de la musique. La Maîtrise retrouvera à l'acte IV toutes les
qualités qu'on lui connaît. Parmi les seconds rôles, si Christian
Tréguier parle son Zuniga plutôt qu'il ne le chante, les Mercédès
et Frasquita de Marion Lebègue et Charlotte Despaux sont délicieuses
et le Moralès d'Anas Seguin fait grande impression. Dimitry
Ivashchenko propose un Escamillo sans grande séduction. Anaïs
Constans fait de beaux débuts en Micaëla, malgré une crispation
perceptible dans le duo de du premier acte – en oublie-t-elle de
sortir la fameuse lettre ? Mais quasiment rien ne
[l]'épouvante dans la montagne.
Charles
Castronovo, Don José très engagé scéniquement et vocalement,
suscite à lui seul toute l'émotion de la représentation. Une très
belle Fleur, une scène finale où la brutalité se fait
poignante et élégante à la fois, une diction française presque
parfaite même lors des passages parlés, une ligne de chant sans
défaut, on peut même imaginer que l'artiste pourrait atteindre au
sublime avec une autre partenaire.
Car
la Carmen de Clémentine Margaine, incarnée à gros traits, laisse
dubitatif. Le personnage est d'emblée détestable, vulgaire,
provoquant sans séduire. La habanera, chantée au public de
la salle plutôt qu'au public de la place, ponctuée de grandes
reprises de souffle, ne montre aucune montée de tension de
séduction. Tout le chant est assorti de vilaines accentuations de
syllabes, de respirations bruyantes en milieu de phrase, de notes
approximatives. Un certain malaise s'installe. Libre elle est née,
libre elle chantera.
Photos
© Patrice Nin
Capitole, 8 avril 2018
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