dimanche 8 avril 2012

Manon : sur la mauvaise pente


Manon est une autre traviata : la mauvaise pente de l'argent et des plaisirs frivoles plutôt que l'élévation de l'amour véritable.
C'est par un escalier rejoignant les hauteurs de la ville que les amoureux fuient, abandonnant leurs valises remplies d'une vie déjà trop tracée. Par un escalier aussi qu'ils accèdent à leur petite mansarde avec petit lit et petite table.
Mais c'est sur des plans inclinés que parade la reine du Cours-la-Reine et que tiennent en équilibre précaire les tables de jeu de l'Hôtel de Transylvanie, tripot en sous-sol éclairé par des néons blafards.

Laurent Pelly habille en noir et blanc : noirs les hauts-de-forme qui rôdent déjà au pied de la mansarde – qui ne sont pas sans rappeler les fantômes de son Macbeth - , noirs les fracs des messieurs lubriques, noires les ombres des joueurs, noires les robes austères des grenouilles de bénitier émoustillées ; blanches les toilettes des coquettes et des cocottes, blancs les tutus des danseuses de l'Opéra. Seule la chute annoncée de Manon porte le rose : du bouquet prémonitoire au rose pâle puis au rose fushia, ostentatoire.
La direction d'acteurs est magnifique de précision et de justesse, et les dialogues parlés sont parfaitement joués, fait plutôt rare à l'opéra.




La très belle Anna Netrebko, voix chaude et diction française travaillée, passe allègrement de l'adolescente délurée à la femme entretenue, sensuelle, déchue, mourante. Piotr Beczala, son des Grieux aux yeux bleus, a la voix solaire des très grands et des pianissimi superlatifs. La succession du poignant Adieu, notre petite table et de l'utopique En fermant les yeux, je vois... (!) est un sommet d'émotion qui gomme toute l'indigence du livret. L'alchimie du couple est palpable et culmine dans la scène de Saint-Sulpice, scandaleuse d'érotisme dans ce lieu saint où piliers, sacristie et petit lit de prêtre – le lit d'amour de la mansarde ! - sont tout de guingois.

Une mention particulière au Guillot de Morfontaine de Christophe Mortagne, remarquable chanteur et acteur à la déclamation parfaite.

On pourra regretter l'épisode du ballet, quelque peu désuet et s'achevant dans une sorte de débauche lubrique pâlement inspirée du ballet décadent proposé par David Mc Vicar pour le Faust de Gounod.
De même l'effet visuel des petites maisons donne une perspective très réussie, mais aussitôt réduite à néant dès que les personnages - dont toute la magie scénographique ne parvient pas encore à réduire la taille ! - passent à proximité.

Mais on gardera l'image de la mort de Manon dans les bras de son chevalier, ultime syllabe chantée dans un souffle sur un quai du Havre à la perspective infinie, le bout de la pente, éclairé par des lampadaires lugubres : « Et c'est là l'histoire de Manon Lescaut. »

Laurent Pelly, présent incognito à la projection, a applaudi sa diva.



(Crédit photos : Ken Howard - Metropolitan Opera)


Metropolitan Opera, Live in HD, 7 avril 2012


La critique du Monde

1 commentaire:

  1. Il est vrai que rien n'est plus suggestif qu'un lit à barreaux et que le rideau tombait à point pour éviter une interdiction aux moins de 16 ans... Manon reste Manon

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