dimanche 2 mars 2014

La Fanciulla del West : cuir et kitsch

© Charles Duprat



La Polka est un bar underground cuir, tatouages et lunettes noires, machines à sous et mines patibulaires. Des durs à cuire, mais des enfants mélancoliques prêts à pleurer quand leur « maman » leur raconte des histoires. Le sinistre crochet de levage est déjà là, le shérif a une belle gueule et croit que les sentiments s'achètent à coups de dollars.




© Victor Tonelli







Murmures dans la salle pour la caravane capitonnée rose Barbie de Minnie, avec télévision, vierge fluo, nounours et chien en peluche sur le lit, et bambis dans la neige du jardin. La peau d'ours est une couette et une trappe dans le toit fait office de grenier, accessible par un escalier pliant quelque peu récalcitrant.




Applaudissements dans la salle pour la casse de voitures, d'où sortent les hommes en noir comme des zombies de leur tombe. Le crochet de levage se balance, lugubre.

Ninna Stemme est une fanciulla un peu mûre mais elle domine ses hommes d'une autorité vocale incontestable, d'où ressortent parfois quelques accents de Brünnhilde. Le Jack Rance de Claudio Sgura, voix et cœur noirs, est un autre Scarpia, séduisant, manipulateur, ignoble. La partie de poker, où Puccini contraint son inspiration naturellement lyrique à retenir son élan au profit d'une scrutation des mots qui trahissent, de questions appelant réponse, et de silences révélateurs [1], devient un combat haletant. Marco Berti est plus impliqué et moins tonitruant que dans son Manrico toulousain, mais le jeu reste distant et parfois emprunté. Chœurs masculins et comprimari excellents, bien que cuirs et lunettes ne permettent pas de distinguer qui est qui. Noir c'est noir.

© Charles Duprat

Pour une fois que l'émotion n'est pas suscitée par la mort pourquoi m'en serais-je privé ? [2]. Puccini a voulu un dénouement kitsch – ὣσπερ ἀπο μηχανης [3] – avec l'apparition improbable de Minnie surgissant de nulle part et sauvant son Dick de la corde. Alors la scénographie est kitsch. La casse s'ouvre pour découvrir des marches de music hall, Minnie passe de meneuse d'hommes à meneuse de revue, Dick-Tarzan la rejoint suspendu à son crochet, le lion de la MGM rugit, les billets verts pleuvent, et le couple est projeté sur le seuil de la Maison Blanche. America forever.

[1] Sylvain Fort – Puccini. Actes Sud / Classica 2010
[2] Bernard Chambaz – Caro Carissimo Puccini. L'un et l'autre, Gallimard 2012
[3] comme de la machine (Démostène)

En direct de l'Opéra Bastille, 10 février 2014

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