dimanche 30 mars 2014

Werther : Jonas, qui ne vous aimerait ?


À l'Opéra Bastille récemment, le couple Koch-Kaufmann était déjà sublime. À New York, il sont juste à pleurer. Et j'ai pleuré. [1]



Les murs effeuillés penchent, une pleureuse impressionnante garde l'entrée de la demeure du bailli. Tout semble bien rangé et bien établi, tout va de travers. Même les parasols luttent contre la pesanteur. Loin de l'esthétique dépouillée de Benoît Jacquot, Richard Eyre a « ajouté des mots au livret » et moult détails, figurants, assiettes, fleurs, mort et enterrement de la mère, noirs corbeaux de mauvais augure ; l'explicite est envahissant. Au 3e acte, rien n'est plus de guingois : le poêle est monumental, les bibliothèques écrasantes ; seuls corps et lettres connaîtront un grand désordre.



Albert est en uniforme militaire, qui donne une bonne raison à sa longue absence. Chez le bailli, chacun est endimanché, et on a du gâteau au chocolat pour goûter – et mes enfants exigent que ma main / leur coupe chaque jour leur pain. Werther est privé de son frac bleu avec gilet jaune [2] et porte un long manteau noir, malheureuse négation de l'inspiration des premiers adeptes de la costumade [3]. Mais tout est dans sa lavallière. D'abord bien mise, elle se dénoue et se défait, comme le costume, comme la vie, d'acte en acte.




Charlotte masque par les toilettes sophistiquées, la distance, le port altier, la froideur, son infini regret d'avoir tenu sa promesse, ce mariage qui trois mois après assoit chaque conjoint à bonne distance sur les bancs. Fatigue de la dernière ? les aigus de Sophie Koch semblent préparés avec un effort physique perceptible mais la scène des lettres, scène de folie, touche en plein cœur.

En petite sœur qui se verrait bien Madame Werther mais déchante vite, Lisette Oropesa est pétillante, légère. L'aigu est facile mais consomme totalement la diction du joyeux. L'Albert de David Bižić est l'anti-Albert de Ludovic Tézier : bienveillant, amical, bonne poire ; mais bien obligé de chanter de ton pour imposer à sa femme de donner les pistolets au valet de Werther.









Jonas, ah Jonas ! qui ne vous aimerait ? Vos boucles brunes, votre barbe de trois jours, votre regard torturé, votre romantisme noir, vos invocations passionnées, vos stances d'Ossian à pleurer, vos piani sublimes, votre sourire dans l'agonie, votre mort dans un souffle de chant. Vous êtes Werther, vous êtes irrésistible.









Charlotte revêt à la hâte une robe de chambre et reste plantée là, tandis que la petite chambre s'avance depuis le fond de scène - comme chez Benoît Jacquot. Plagiat ?


C'est un suicide longuement préparé. Il envisage la balle dans la tête (Il s'était tiré le coup à travers la tête au-dessus de l'œil droit, la cervelle avait jailli au dehors [2]), se ravise et vise le cœur, ou à côté – fort heureusement, il ne pourrait y avoir ce semblant de vraisemblance dans l'agonie si longuement chantée, cette force pour monter sur le lit, puis s'en relever, se mettre debout, avant d'expirer enfin. À la faveur d'un éclair aveuglant et du talent des techniciens de plateau, le sang gicle jusque sur les murs. Charlotte rejoindra le mourant dans son lit, et considérera les pistolets pour elle-même. On craignait pour la vie de Lotte [2].

[1] Fabienne Pascaud. Infiltrée dans les coulisses du MET – Les divas en gros plan. Télérama n° 3349, mars 2014
[2] Goethe. Les souffrances du jeune Werther (1774). GF Flammarion
[3] terme recommandé par la Commission générale de terminologie et de néologie pour cosplay, Journal Officiel, 16 octobre 2011

Photos © Ken Howard

Metropolitan Opera Live in HD, 15 mars 2014 

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