C'est
un drame aux camélias que proposent Pierre Rambert et Antoine
Fontaine dès le lever de rideau. Le cœur de la fleur se déchire
sur le loft avec vue et mezzanine, la soirée en noir et blanc,
messieurs en bretelles et dames en capeline, robes époustouflantes
et camélias semés partout. La laideur ou la banalité du costume,
très en vogue sur scène ces temps-ci, n'est pas de la partie :
Frank Sorbier flatte les corps et les yeux.
On
s'interroge bien sûr à propos de la célérité des transports
entre la capitale et la villa avec piscine et arbre très
méditerranéen. Bagatelle ! La piscine devient table à chandeliers
pour la fête en noir et camélias rouges chez Flora, où
l'extravagance des toilettes le dispute à la beauté des masques.
On
aurait préféré une Mort unique plutôt qu'un couple de squelettes,
moins clinquante et plus inquiétante, moins légère et plus
fantomatique. Mais elle rôde, séductrice, parmi les convives, tend
le fric de l'insulte, et surtout, guide Violetta vers les coulisses
de la fête et son lit d'agonie – superbe sortie de scène.
Peu
lisible en revanche est la poupée « image », brune ou
blonde pour s'accorder à la titulaire du rôle, sortie de temps à
autre d'un sac, pour faire le double qu'elle n'est pas vraiment.
La
Violetta brune d'Anita Hartig chante avec puissance, forçant au I
des aigus jusqu'au désagréable. Son Alfredo Airam Hernández
fait un beau récital en se posant confortablement sans guère
d'autre intention que des gestes plaqués artificiellement. Aucune
alchimie dans ce couple qui ne se regarde pas – Alfredo se déclare
dans l'escalier en tournant systématiquement le dos à sa
partenaire, et ne semble pas très affecté au pied du lit.
Tout
autre est le couple de la « seconde » distribution. La
Violetta blonde de Polina Pastirchak est d'emblée fragile, tout en
nuances et aigus filés, rage et résignation mêlées. Kévin Amiel,
en formidable progression depuis son récital de la saison passée, a
l'insolence de la jeunesse et l'aigu triomphant, l'aisance dans la
représentation juste de tous les affects, amour, colère (formidable
affrontement avec le père), affliction. Ces deux-là sont
véritablement Violetta et Alfredo.
L'apparition
par jardin de l'imposant Germont de Nicola Alaimo, frac, lunettes
noires et gigantesque parapluie en ombrelle, préfigure un odieux
cousin du baron Scarpia, mains et regards concupiscents, mais dont on
percevra le sincère repentir au III. Son très attendu Di
Provenza il mar, il suol émeut par les nuances, le legato,
la longueur du souffle, la parfaite diction. André Heyboer en impose
moins par la stature, mais campe un père plus calculateur,
intransigeant, impassible.
Les
seconds et petits rôles sont parfaitement tenus, avec une mention
pour la truculente Annina aux cheveux orange d'Anna Steiger. Les
chœurs sont admirablement préparés, comme à l'accoutumée, par
Alfonso Caiani, cependant on peut regretter qu'ils soient laissés
statiques chez Flora au profit des danseurs qui – sans jeu de mots
– les masquent. Très bel orchestre, dirigé avec attention par
George Petrou – les préludes du I et du III, accompagnés
visuellement de l'immense camélia puis de cet ange pur qui appelle
vers le ciel, sont particulièrement émouvants.
Certes
l'ascension finale est un rien grandiloquente, mais l'image est
belle, Violetta rejoignant Marguerite dans la transfiguration, au
cœur du camélia qui se referme.
Capitole,
7 octobre 2018, 15h00 et 20h30
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